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Pour David, la première journée de classe au Triviana-College se passa dans un climat d’hébétude hypnotique. Les salles, immenses et blanches, abritaient plus de quarante élèves en uniforme noir, et la moindre chute de crayon éveillait sous les voûtes des échos de basilique. Un architecte pervers avait dû les concevoir car l’acoustique y était telle que si l’on tentait de bavarder en chuchotant, vos paroles parvenaient distinctement aux oreilles du professeur pourtant assis à quinze mètres de votre pupitre. Les pages des cahiers, quand on les tournait, claquaient comme des coups de feu, et les voix des enseignants tonnaient au-dessus de vos têtes, amplifiées, vibrantes et sépulcrales.

David en était resté abasourdi. Les élèves ne lui avaient prêté nulle attention, et son arrivée n’avait produit aucun commentaire. Pas un regard ne s’était attaché à lui lorsqu’il s’était engagé dans la travée pour rejoindre son pupitre, et il avait eu l’impression de défiler entre deux rangées de mannequins en deuil.

Moochie lui avait désigné ce qui serait sa table et s’était assis juste à côté.

Dans l’école de quartier qu’avait fréquentée David, l’arrivée d’un nouveau provoquait chaque fois une agitation curieuse faite d’agressivité et de manifestations de sympathie. On observait l’inconnu, on passait en revue le moindre de ses vêtements, on dressait une nomenclature de ses affaires de classe, on en supputait le prix pour tenter de dresser un portrait-robot psychosociologique de l’arrivant. Rien de tout cela à Triviana. David avait l’impression d’être transparent, fantomatique. De plus, ces gosses trop sages, silencieux, ordonnés, l’effrayaient. Ils ne profitaient jamais de ce que le professeur avait le dos tourné pour se lancer des boulettes de papier ou échanger des messages, voire pour allumer une cigarette, passer à la ronde une tablette de chocolat ou un magazine rempli de photos de femmes nues. Leur sérieux avait quelque chose de glacé et de menaçant.

Au cours de la matinée deux professeurs se succédèrent : un petit homme aux yeux bleus, qu’on surnommait Bubble-Sucker, et une femme d’une quarantaine d’années, rousse et chevaline, affublée d’une énorme poitrine qui semblait déplacée sur un torse aussi osseux. Moochie précisa qu’on la nommait Mary Bouffe-minou. David ne chercha pas à savoir ce que recouvraient ces sobriquets. Il était fatigué et inquiet. Toute la journée il dut lutter pour ne pas éclater en sanglots et s’abattre sur son pupitre la tête entre les mains. L’épisode de la malle emplie de crabes crevés l’avait secoué. L’heure de la récréation sonna enfin et les élèves descendirent en silence dans la cour tapissée de cailloux blancs. Personne ne vint à la rencontre de David, les regards le traversaient sans s’arrêter. Il n’existait pas. À la fin, n’y tenant plus, il saisit Moochie par le bras et le secoua durement.

— À quoi ça rime tout ça ? explosa-t-il. Pourquoi font-ils comme si je n’étais pas là ?

Le gros garçon se dégagea en grimaçant.

— Ne me touche pas, fit-il précipitamment. Tu veux qu’on nous prenne pour des pédés ?

Il fit deux pas, se radoucit et murmura :

— T’excite pas, c’est normal. Tant que tu ne feras partie d’aucune fraternité tu n’existeras pas aux yeux des élèves et personne ne t’adressera la parole. Si tu veux avoir des copains tu dois entrer dans un club d’étudiants… ou du moins commencer par poser ta candidature.

— Et si personne ne m’accepte ?

— Alors tu resteras tout seul, comme moi.

— On t’a refusé partout ?

— Oui, personne ne veut d’un asthmatique ne pratiquant aucun sport et susceptible d’avoir une crise à toute heure du jour ou de la nuit.

David se mordit la lèvre.

— Mais, hasarda-t-il, tu n’es pas tout seul puisque je suis avec toi.

Le gros garçon se raidit.

— Tu déconnes, lâcha-t-il. Mais tu n’as donc rien compris ? Je te parle parce qu’on m’a chargé de t’inculquer le règlement du collège. J’aurai le droit de bavarder avec toi jusqu’à la fin de la semaine mais pas au-delà. Si je passais outre, on nous traiterait de pédés. Nous n’avons aucune raison d’être ensemble.

— Alors il faut faire partie du même club pour avoir le droit de discuter ?

— Oui, si l’on a été rejeté par toutes les fraternités, on devient un paria… et si deux parias se parlent ils deviennent des pédés.

— C’est complètement con cette histoire, rugit David.

— Peut-être, siffla Moochie, mais c’est la loi dans la loi, le protocole des étudiants. Si l’on nous prend pour des pédés, la milice des fraternités nous coincera tous les deux dans un coin du gymnase et nous punira en nous enfonçant un manche à balai dans le cul. Je n’invente rien, c’est déjà arrivé.

— Parce qu’il y a aussi une milice ?

— Ouais. C’est un groupe disciplinaire qui compte un représentant de chaque fraternité. Mon vieux David, tu dois me prendre au sérieux, je t’assure. Nous n’avons qu’une semaine devant nous, après il ne faudra plus jamais m’adresser la parole en public.

— Et lorsque nous serons dans notre chambre ?

— Un minimum, car on risque de nous espionner pour nous prendre en défaut. Il faudra se cantonner à des échanges fonctionnels : « Puis-je utiliser le cabinet de toilette… allumer la lampe, tirer les rideaux, etc. »

La sonnerie retentit, mettant fin au moment de détente. David réintégra la classe, groggy comme un boxeur au terme d’un round épuisant.

Le reste de la journée s’écoula dans une sorte de brouillard mental. Aux repas, David ne toucha presque pas à la nourriture. Comment un tel collège pouvait-il exister ? Ces gosses semblaient prendre un plaisir extrême à s’imposer des règles débiles, à établir des cloisons étanches qui découpaient l’internat en un territoire peuplé de tribus ennemies. Moochie paraissait inquiet ; visiblement, le rôle de mentor qui lui avait été confié ne le remplissait pas de joie.

— T’as pas l’air de comprendre, martela-t-il lors de la promenade du soir. Ici c’est un monde vachement différent, un collège d’élite où la démagogie et la convivialité n’ont pas très bonne presse. Je ne veux pas te bercer d’illusions, tu auras dû mal à entrer dans un club. Ta réputation de cinglé va te faire du tort. Si tu te retrouves tout seul, au besoin, on pourra s’écrire des lettres…

— Quoi ? hoqueta David, s’écrire des lettres alors que nous partagerons la même chambre ?

— Oui. C’est une ruse pour tourner la règle du silence. Un stratagème toléré par la milice. Tu n’as jamais entendu parler des cloîtres où les moines doivent rester silencieux toute leur vie ?

— Je ne suis pas là pour devenir moine ! gronda David. Explique-moi plutôt comment fonctionnent les fraternités ?

— Waooh ! Alors là il y aurait de quoi écrire un bouquin épais comme un dictionnaire. Une fraternité c’est un club, ni plus ni moins. Une bande officialisée. Seulement il y a une astuce, si une fraternité se forme autour d’une activité culturelle, artistique ou sportive, elle touche une subvention du collège. Ce qui fait que tous les clubs ont officiellement un statut culturel.

— Et officieusement ?

— Officieusement il s’agit surtout d’inventer un prétexte pour soutirer du pognon au dirlo. Je peux, si tu veux, te parler du « groupement de promotion des sports mal connus ». Il compte une douzaine de rigolos qui militent pour imposer un sport soi-disant pratiqué par les Aztèques et sur lequel ils rédigent un mémoire collectif. Ils ont obtenu une subvention de l’économat pour reconstituer à partir de matériaux modernes les instruments nécessaires à la pratique de cette technique-ancestrale-et-religieuse, comme il est dit dans l’introduction de leur traité.

— Et ça donne quoi dans les faits ?

— Grimpés sur des caisses vides, ils essayent de transpercer avec des fleurets démouchetés une citrouille pendue par une ficelle à l’un des portiques du gymnase. Mais selon eux, il ne s’agit que d’une première approche dans la reconstitution. En réalité le fric de la subvention part en bouteilles de bière et de gin.

— Et le shit ?

— Pas trop, le portier a le nez fin. S’il coince quelqu’un avec un quart de joint à la bouche, il lui fait faire quarante fois le tour de la plage avec un sac rempli de galets sur le dos. J’ai vu un type qui avait subi ce traitement, il avait les épaules en sang, complètement cisaillées.

— Mais les parents ne protestent pas contre les punitions corporelles ?

— Non. Quand on inscrit un gosse ici, le dirlo fait signer à ses vieux un papier sur lequel ils s’engagent à ne jamais porter plainte contre l’institution. Triviana, c’est la Légion de l’enseignement secondaire. C’est vachement valorisé chez les bourgeois. Mon père m’a dit une fois : « J’espère qu’ils feront de toi un homme malgré ta maladie ! » Il m’a collé ici parce qu’il estimait que ma mère me couvait comme un poussin.

— Et les autres clubs ? interrogea David, soucieux d’endiguer les épanchements biographiques du gros garçon.

— Il y a un club de dessin académique : Les Fusains. La subvention leur permet de louer les services d’un modèle qui vient poser nu pour eux.

— Quoi ? Une nana ?

— Ouais, ils ont fait valoir qu’il n’y avait pas de bonne formation classique sans une pratique soutenue du nu académique. La fille vient deux fois par semaine, c’est en réalité une pute de Triviana. Les types la grimpent dans la salle de dessin.

— Mais personne ne les surveille ?

— Si, le prof, mais ils lui servent du thé au gin, et à partir de la troisième tasse le vieux roupille comme une marmotte.

— Alors la subvention paie les passes des mecs du club ?

— Affirmatif, mais tous les clubs ne sont pas comme ça, il y en a qui se prennent au sérieux. Le Salon de Byron par exemple, ils écrivent des vers et des pièces de théâtre, et les Tréteaux de Windsor, des mecs complètement azimutés par Shakespeare. Avec le fric de la subvention, ils font imprimer leurs manuscrits ou achètent des costumes de scène. Il y a plus de quinze fraternités. Je te montrerai l’annuaire du collège. Si tu veux adhérer à l’une d’elles tu devras rédiger un curriculum, énoncer tes qualités et aptitudes, et aller déposer ta lettre dans son casier à courrier au rez-de-chaussée, dans la salle de réunions. Ils se réuniront alors en conseil et décideront de la suite à donner à ta demande. Plus une fraternité compte de membres, plus sa subvention est élevée, mais les clubs restent assez fermés. Il faut être recommandé par un membre, parrainé, si tu préfères. Le dirlo trouve ça très bien, il dit que ça développe chez les élèves le sentiment de caste, et que ça les prépare à devenir plus tard membres d’un club honorable, comme le Shield’s Gordon ou le Regency Square Group. Probable qu’il faisait partie d’un club d’officiers vachement élitiste, le genre de truc où tu n’es admis que si tu as au moins trois éclats d’obus dans le poumon droit et une plaque d’acier vissée au sommet du crâne.

David soupira, découragé. Quel talent particulier pouvait-il faire valoir ? À part celui d’avoir des cauchemars toutes les nuits, il ne voyait pas. Le sport ne l’intéressait guère et il avait toujours subi les cours de gymnastique comme une punition spécialement imaginée par l’Éducation nationale à seule fin de lui gâcher sa journée.

À la fin des cours, Moochie l’entraîna au foyer pour disputer une partie de cartes. Le gros garçon s’échauffa pendant qu’il distribuait les petits morceaux de carton colorés, et deux taches rouges apparurent sur ses pommettes. Il semblait soudain heureux de n’être plus seul. Peut-être redoutait-il depuis des mois et des mois cette heure fatidique de la journée qui le laissait chaque fois livré à une épouvantable solitude ?

David jouait distraitement. Par la vitre, il observait les progrès de la nuit sur la lande. Le brouillard montant de la mer gommait jusqu’aux lumières de Triviana. Les cartes étaient comme des petites lames de fer entre ses doigts. Elles lui glaçaient les ongles. Aux tables voisines on jouait aux échecs, au bridge… Des jeux désespérément sérieux. Dans son école, David avait l’habitude de pratiquer les jeux de rôles : Donjons et Dragons aux parties interminables, mais aussi le Maître des cobras… et le Labyrinthe des quinze bossus. Il adorait les vapeurs d’aventures qui montaient des petits cartons colorés ; on se bousculait pour bouger les pions à tête de monstre : les gnomes et les dragons de plomb, qu’on achetait un par un chez les revendeurs pour les peindre avec amour. Oui, il adorait ces petits guerriers fichés sur leur socle brandissant un glaive grand comme une épingle et dont les muscles parsemaient le corps de hernies.

« Je suis le gnome ! criait-il, c’est à moi de jouer, j’ai le pouvoir de désintégrer l’or à travers les parois d’un coffret et de changer les ombres en soldats de caoutchouc invincibles ! »

À plusieurs reprises il avait essayé d’initier M’man aux aventures du Labyrinthe des quinze bossus, mais elle mélangeait tout.

« Comment pouvez-vous jouer à des trucs aussi compliqués ? s’exclamait-elle. Rien que la règle du jeu fait cent cinquante pages ! Si tu as été capable d’assimiler ça, tu devrais n’avoir aucune difficulté à obtenir la moyenne en mathématiques ! »

Les mains de David tremblèrent sur la poignée de trèfles et de cœurs qu’elles serraient jusqu’à les chiffonner. Son regard coula vers les autres tables. On riait poliment, sans jamais s’esclaffer. Tous ces gosses avaient la parfaite maîtrise de leur apparence sociale. Ils possédaient déjà à fond l’art de la dissimulation. « Des comploteurs, songea David. Je suis dans un collège de futurs espions. Plus tard, ils poseront des micros dans les ambassades, empoisonneront des chefs d’État sans même tacher leurs gants blancs… »

Il lui semblait les voir, avec leurs visages froids, enveloppés dans des manteaux de cuir noir, chapeautés et gantés de noir, conduisant les voitures noires de quelque mystérieux service parallèle. « Ce ne sont déjà plus des gosses, comprit-il avec un malaise grandissant, je suis sûr qu’ils jugent stupide de manger du chocolat à la framboise, il leur faut déjà des cigares, des alcools qui râpent et vous font monter la chair de poule le long du dos. Ils préfèrent les huîtres aux hamburgers et le Champagne au Coca-Cola. Ils abominent les bandes dessinées, lisent les revues économiques. Et le cinéma est pour eux un art débile qu’ils remplacent par la pratique du golf ou du tennis… »

— Hé ! chuchota Moochie, c’est à toi.

David revint à la réalité. Le foyer pesait sur ses épaules comme un énorme iceberg d’hostilité. Il se sentait mal dans son corps et les yeux lui piquaient.

« Ce soir je prendrai un cachet bleu, se promit-il, comme ça j’oublierai tout : le parking, Triviana, les fraternités… Tout ! »

Un peu plus tard le portier apparut sur le seuil de la salle et porta à ses lèvres un sifflet de quartier-maître à l’aide duquel il émit une plainte modulée.

— C’est l’heure d’aller se coucher, expliqua Moochie. C’est bête, juste quand je commençais à gagner.

Ils montèrent silencieusement au dortoir. De petits groupes se formaient au long des couloirs, chuchotant à la manière des moines à l’heure de la promenade.

Au moment où il pénétrait dans la chambre, David ressentit encore plus cruellement que le matin l’absence de senior Strawberry. La pièce blanche, impeccable et impersonnelle avait l’air d’un sas de décontamination. Un de ces trucs dans lesquels on met les cosmonautes en quarantaine pour s’assurer qu’ils ne ramènent pas sur Terre un affreux virus des étoiles.

Moochie passa dans le minuscule cabinet de toilette pour se déshabiller et réapparut, sanglé dans un pyjama réglementaire, après quoi il entreprit d’ingurgiter un nombre impressionnant de pilules et de cuillerées de sirop. David songea aux cachets bleus et l’imita, avalant d’un coup de glotte douloureux la grosse pastille qui devait lui apporter la paix.

Une fois installés chacun dans leur lit, Moochie Flanagan reprit son énumération des potins du collège, mais David perdit rapidement le fil de ses propos.

— Mary Bouffe-minou, le prof d’anglais, chuchotait-il, il paraît qu’elle flirte avec les grands de terminale. Elle a écrit un bouquin sur la vie amoureuse d’une impératrice, je ne sais plus laquelle. Elle est passée à la télé, on l’a vue. Elle avait mis une robe décolletée jusqu’au nombril. Quand la caméra la cadrait de profil on lui voyait toutes les doudounes… Le père Bubble-Sucker, lui, était astronome, mais il paraît qu’il s’est déconsidéré en écrivant un bouquin sur les ovnis. Les scientifiques se sont tellement payé sa tête qu’il a dû démissionner de son poste à l’observatoire. Depuis il est ici. Il enseigne les maths, mais aussi les sciences nat, la physique et la chimie. Il est un peu timbré mais pas mauvais. Si tu veux te faire bien voir, passe devant lui avec un bouquin d’astronomie sous le bras…

Mais David n’écoutait plus. Il dérivait lentement à la rencontre du sommeil, assommé par le pouvoir sédatif du cachet bleu.

Il ne rêva pas du garage cette nuit-là, mais du sous-marin japonais dont le directeur semblait craindre la venue. Le submersible rôdait au pied de la falaise, raclant la glaise du fond avec son ventre de métal. C’était un vieux sous-marin, rouillé comme une épave et couvert d’algues. De temps à autre son périscope surgissait au-dessus des flots pour épier le directeur du Triviana-College. Les puissantes lentilles perçaient l’épaisseur des murailles, sondant les chambres et les couloirs, violant jusqu’à l’intimité des toilettes. À l’intérieur de la machine, des hommes jaunes et décharnés ricanaient en silence, ruminant leur vengeance en fumant de l’opium. C’étaient tous d’anciens officiers impériaux que le directeur avait torturés dans un camp, là-bas, aux Philippines. Ils avaient fini par le retrouver, après des années d’errance… et ils ricanaient, magots d’ivoire aux longues moustaches cirées. Sur leurs torpilles ils avaient peint deux dragons noirs : les serpents ailés de la vengeance, et ils se réjouissaient à l’idée de faire sauter la falaise. De temps en temps, quand le sous-marin empestait trop l’opium, ils remontaient à la surface pour ouvrir une écoutille et aérer les coursives. Les marins qui croisaient au large croyaient alors voir une baleine. Les survivants des camps ricanaient en se moquant de la crédulité des Blancs, et notamment du directeur qui avait cru les semer en zigzaguant à travers le monde. Ils buvaient du thé noir, très fort, arrangeaient des fleurs dans des vases, et faisaient de la calligraphie en attendant que vienne le moment de la mise à feu. Les grosses torpilles vibraient d’impatience, avides de carnage, et leurs hélices tournaient, tournaient, en émettant un bruit aigre de ventilateur déréglé.

David se réveilla en sursaut, mais le sifflement provenait de Moochie qui suffoquait dans son sommeil, la bouche grande ouverte.

David retomba sur son oreiller, et sa main chercha instinctivement senior Straw… Mais Straw n’était plus là. On l’avait enterré quelque part dans son cercueil de carton, perdu dans le hangar d’un quelconque garde-meubles, la maison n’existait plus. L’appartement de M’man n’était plus qu’un souvenir, un décor démonté, aux accessoires éparpillés.

« Je suis sans abri, pensa le garçon, je n’ai plus d’autre maison que le Triviana-College. » Cette constatation le terrifia. Pourtant il avait encore grand-mère Sarah, mais la vieille femme lui faisait peur… et puis elle avait été bien prompte à se débarrasser de lui. Sans doute craignait-elle qu’il ne fût possédé par l’un des démons de la grande ville ? David ferma les yeux. Assez curieusement, il rêva à nouveau du sous-marin.